En ce début d’automne, comme tous les ans, les propriétaires sont en train de recevoir leur avis de taxe foncière sur les propriétés bâties. Nos concitoyens étant très sensibles, s’agissant des impôts en général et des impôts locaux en particulier, certains médias, probablement à la recherche de sensations en vue de captiver leurs lecteurs, n’hésitent pas à titrer sur les augmentations actuelles et à venir.
Il est vrai que la taxe d’habitation afférente à la résidence principale devant être supprimée progressivement, à raison d’un tiers au cours des années 2018, 2019 et 2020 pour les revenus les plus modestes, puis définitivement pour tous les foyers dès 2021, cet impôt va devenir moins sensible pour les français.
Pour autant, en raison du coût exorbitants de cette mesure pour les finances de l’Etat qui s’est engagé à compenser intégralement les recettes correspondantes des collectivités locales (environ 24 milliards d’euros par an à partir de 2021), on est en droit de s’interroger sur le financement de cette mesure. Vu les difficultés à réduire drastiquement les dépenses publiques et la dette, qui restent une priorité pour la France, il n’est pas acquis que l’Etat soit en mesure de tenir ses promesses et de compenser l’intégralité des pertes de recettes pour toutes les collectivités.
Ce pourrait être l’occasion pour l’Etat de réformer enfin la fiscalité locale des particuliers (dont les valeurs locatives datent de 1970), voire de s’attaquer une bonne fois pour toutes à la réduction du nombre de strates administratives qui nuisent au développement du pays depuis des lustres. Au final, la suppression de la taxe d’habitation pourrait être salutaire en rendant du pouvoir d’achat aux français et en accélérant des réformes structurelles (accentuation des fusions de communes, extension du périmètre des intercommunalités, suppression des départements…). En toute hypothèse, soyons lucides, il y aura des gagnants mais aussi des perdants et les collectivités les plus fragiles sur le plan financier avec des dépenses de fonctionnement démesurées et une dette élevée, risquent fort de se trouver prises à la gorge.
Dans ce contexte d’incertitude sur les futures recettes fiscales des collectivités locales, ces dernières dont la principale ressource stable sera la taxe foncière sur les propriétés bâties pourront être tentées d’en augmenter les taux. Mais ce n’est pour l’instant qu’une supputation et rien ne permet d’affirmer que ce sera le cas pour la majorité des communes et des départements.
Une évolution des taux de taxe foncière contrastée selon les communes et les départements
Rappelons d’abord que la taxe foncière sur les propriétés bâties est perçue à la fois par la commune et par le département. A ce titre, les deux collectivités fixent librement les taux d’imposition. A cela s’ajoute également la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM) qui a tendance à s’envoler ces dernières années.
Pour ces raisons, pour les non spécialistes des impôts locaux particulièrement complexes en France, il est difficile d’analyser et de comparer l’évolution de la fiscalité locale car une augmentation globale de la cotisation de taxe foncière peut avoir de multiples origines (la commune, le département, la collectivité qui prélève la TEOM…) mais aussi la simple revalorisation/actualisation annuelle des valeurs locatives, qui à elle-seule, génère automatiquement une augmentation annuelle de l’ordre de 0.80%.
Dans ces conditions, l’exercice qui consiste à comparer l’évolution de la fiscalité locale via le seul montant de la cotisation n’a pas grand intérêt car elle conduit généralement à laisser penser aux contribuables que l’augmentation est d’abord imputable à la seule commune, alors que dans la plupart des cas, cette dernière n’a pas augmenté ses taux depuis de longues années et même des décennies. Ce qui pénalise les communes bonnes gestionnaires aux yeux des électeurs non avertis des subtilités de la fiscalité locale.
Selon les récentes études publiées, au niveau national, la taxe foncière sur les propriétés bâties aurait augmenté de 4.73% entre 2015 et 2016 et seulement 0.98% entre 2016 et 2017. Si l’on tient compte de la revalorisation annuelle automatique des valeurs locatives, l’augmentation réelle reste limitée. Qu’en sera-t-il à partir de 2019 ? Certains semblent redouter une possible flambée des taux de taxe foncière, mais rien ne permet de l’affirmer à ce jour.
Le principal quotidien régional d’Occitanie pour le département de l’Aveyron, titrait voici quelques jours : « Taxe foncière : Decazeville est la commune la plus chère de l’Aveyron », un titre qui sous-entend implicitement une augmentation des taxes locales par la commune. Selon ce journal, la comparaison au niveau départemental la fait apparaître comme la plus chère, devant Millau, Rodez et Aubin. En une décennie, 2005 et 2015 alors que les 2/3 des foyers sont non-imposables, la part communale de la taxe foncière sur les propriétés bâties est de 28.69% à Decazeville, soit plus du double que la moyenne départementale. L’augmentation aurait ainsi été de 60% sur 12 ans contre une hausse de médiane de 20% en France pour les villes de la même strate.
Des affirmations pour le moins contestables. A Decazeville, l’actuelle municipalité n’a en effet aucune responsabilité dans les taux élevés de la commune qui avaient été augmentés par la précédente municipalité. D’ailleurs, il n’y a pas eu d’augmentation depuis l’élection de la nouvelle équipe municipale en 2014 qui avait jugé ce taux trop élevé et décidé de geler le taux de la taxe foncière à 28.69%. La municipalité prévoit d’ailleurs le maintien de ce taux au moins jusqu’en 2020, et ce malgré des dépenses de fonctionnement et une dette élevées, héritage de la municipalité de gauche en place depuis de longues décennies. Des faits que le journal passe sous silence, lui qui s’est d’ailleurs bien gardé de critiquer la gestion désastreuse des précédentes municipalités, de gauche il est vrai. D’ailleurs, la commune d’Aubin, autre ville de gauche depuis fort longtemps, n’est pas mieux lotie avec un taux de taxe foncière de 26.35%.
On ne peut comparer que ce qui est comparable en matière de taxe foncière, notamment pour Rodez
S’agissant de Millau et Rodez, villes de plus de 20 000 habitants, la situation est très différente et ne peut en aucune manière être comparée aux autres communes du département, pour la plupart très rurales, avec une faible population et très peu de charges fixes de centralité : ce qui explique des taux d’imposition généralement faibles entre 8% et 15%.
Le taux moyen de la strate pour Millau et Rodez se situe à 23.19%. Le taux en vigueur à Millau en 2016 était de 32.40%, suite à l’augmentation intervenue en 2014. Ce qui constitue effectivement un taux élevé pour ce type de ville.
Même à l’intérieur de l’agglomération de Rodez, on ne peut comparer le taux de Rodez avec celui des autres communes de l’agglomération car Rodez, ville-centre qui rayonne sur une vaste zone de plus de 100 000 habitants, doit supporter à elle seule des dépenses de fonctionnement et d’investissement très importantes, sans commune mesure avec les autres. Ce qui impose des impôts locaux plus élevés.
A Rodez, le taux du foncier non bâti était de 28.94% en 2016 et ce depuis plus de 12 ans. Il est tombé à 27.49% en 2018 suite à la décision de la municipalité de le baisser de 5%. Une décision que peu de communes ont osé prendre. Ce taux de 27.49% se situe au niveau le plus bas au regard de ceux en vigueur dans les principales villes comparables de la région. Il est donc faux d’affirmer que le taux de la taxe foncière à Rodez est élevé.
A titre de comparaison, ce même taux communal de la taxe foncière non bâtie était en 2016 de 28.05% au Puy-en-Velay, 28.80% à Albi, 29.72% à Tarbes, 30% à Montauban, 34.50% à Castres, 35.22% à Brive, 38.25% à Cahors, 41.65% à Carcassonne, 44.07% à Auch et 44.54% à Périgueux. ET ces taux ne devraient hélas pas baisser dans les années à venir. Les ruthénois ne sont donc pas fondés à se plaindre du taux élevé des impôts locaux, bien au contraire.
Ces dernières années, plus que le taux de la commune lui-même, c’est le plus souvent le taux de la part départementale de la taxe foncière, perçue au profit des Conseils départementaux qui a entraîné une envolée de la cotisation de taxe foncière. En Aveyron, même si le taux départemental de la taxe foncière est passé en 2014 de 19.41% à 20.69%, celui-ci reste à un niveau acceptable. Mais pour combien de temps encore ?
A moins que l’Etat, dans le cadre de la réforme à venir de la fiscalité locale ne supprime purement et simplement la part départementale de la taxe foncière, de nombreux départements vont être tentés d’augmenter le taux pour faire face à l’augmentation de leurs dépenses, pas toujours bien maîtrisées hélas.
Difficile dans ces conditions de prévoir ce que sera l’évolution future des taux de la taxe foncière sur les propriétés bâties, mais il est peu probable que l’on assiste à une baisse au cours de la prochaine décennie. La suppression de la taxe d’habitation pour les résidences principales dès 2021 risque en effet de rompre le fragile équilibre habituel, surtout si l’Etat ne compense pas l’intégralité de la perte de ressources pour les communes.