Ce 23 juin 2016 marquera probablement un bien triste moment pour l’Union européenne. Même avec un « petit » non à 51.90% et une participation de 72%, les britanniques ont marqué leur volonté de quitter l’UE pour vivre leur vie séparément après des décennies de vie commune, même si ce fût parfois dans des conditions pour le moins mouvementée.
Par delà ce résultat global, la situation est très différente d’une région à une autre. Ainsi l’Ecosse a voté à plus de 62% pour le maintien dans l’UE, tout comme l’Irlande du Nord avec prés de 56%. En Angleterre, l’agglomération de Londres a voté à prés de 60% pour le maintien, et même à plus de 70% dans le centre de la capitale. Quand aux grandes villes universitaires de Cambridge, Oxford, York, Bristol, Brighton…à l’instar du monde étudiant, elles ont voté massivement (à plus de 70%) pour le maintien. On comprend la gueule de bois des britanniques.
Moins de trois jours après le vote, une pétition pour un second référendum en faveur du maintien du Royaume-Uni dans l’UE a été signée par plus de 3.2 million de personnes. Jusqu’alors jamais une pétition publiée sur le site du Gouvernement et du Parlement n’avait recueilli autant de signatures. Ce qui obligera le Parlement à examiner celle-ci dans un délai de 21 jours.
La surprise de ce référendum, par delà le « non à l’Europe », c’est qu’il marque une profonde division des britanniques entre, d’une part, les partisans du maintien dans l’UE composés des classes moyennes et supérieures bien éduquées, mais aussi d’une population relativement jeune et ouverte sur l’Europe, et d’autre part, les classes populaires des banlieues urbaines et des campagnes qui se sentent abandonnées par les partis politiques traditionnels. Globalement, cette dernière frange de la population est plus âgée, vit souvent dans des conditions précaires et crains de voir son identité se fondre dans l’UE.
De ce point de vue, le discours des partisans du non à l’Europe a su exploiter le mécontentement et la peur des classes populaires quant à leur avenir. Que ce soit Boris Johnson, l’ancien maire conservateur de Londres ou Nigel Farage, le député européen et leader du parti Ukip, ils ont fait feu de tout bois en entretenant la peur envers les classes les plus modestes et les moins bien informées, abandonnées par le parti travailliste. Le leader indépendantiste de Ukip a surfé, ces dernières semaines, sur la vague anti-européenne et anti-immigration. Le long travail de sape des dernières années lui a permis de capter les électeurs les plus fragilisés qui ont vu en lui un moyen de mettre un terme à la politique des partis traditionnels. Il s’agit d’abord d’un vote sanction contre un système qui les a trop longtemps ignorés, même s’il est vraisemblable que la peur de voir déferler sur l’Europe et le Royaume-Uni des nuées de réfugiés de toutes sortes a également compté pour beaucoup.
Dans ce contexte, il faut bien reconnaître que l’avenir du Royaume-Uni et de l’Europe était bien le dernier des soucis de nombre d’électeurs qui ont voté « non » .
La faute à qui ?
- D’abord à David Cameron qui avait décidé de soumettre l’appartenance du Royaume-Uni à l’UE à référendum. Même s’il a fait une campagne active sur le terrain en faveur du maintien, le calendrier retenu n’était probablement pas le plus favorable pour les partisans du maintien, alors que les partisans du « non » misaient sur le nationalisme et l’anti-immigration,
- Les travaillistes britanniques, en pleine déconfiture et recomposition politique ont été quasi absents du débat. Alors qu’il s’agit du parti le plus favorable à l’Europe, son leader Jeremy Corbyn n’a pas été à la hauteur en menant une campagne terne et sans conviction. Le résultat est d’ailleurs sans appel puisque les plus mauvais scores du « oui » sont justement localisés dans les fiefs traditionnels travaillistes des villes industrielles du centre de l’Angleterre.
- L’Union européenne et notamment la Commission ont leur part de responsabilité en étant trop éloignés des préoccupations réelles des populations.
- Les leaders de l’UE à commencer par Angela Merkel et François Hollande qui n’ont pas été à la hauteur dans cette affaire, loin s’en faut.
- Enfin, sans véritables arguments sur le « non », les partisans du Brexit ont utilisés les pires manipulations pour tromper les électeurs et cacher les véritables enjeux.
Quelle suite pour le Royaume-Uni ?
Le résultat du référendum ne suffit à lui seul à permettre à la Grande Bretagne de quitter l’Union européenne. Encore fait-il que le Parlement britannique, seul souverain et qui reste très largement favorable au maintien dans l’UE, soit d’accord et émette un avis favorable en ce sens. C’est seulement à ce moment là que le gouvernement britannique pourra demander l’application de l’article 50 du traité européen qui permet à un Etat membre de quitter l’Union. La procédure peut prendre plus de deux ans à partir de la demande. Autant dire que les britanniques ne vont pas quitter l’UE tout de suite et risquent même de faire durer un peu les choses car il est bien plus confortable d’être dans l’UE que dehors. En attendant, ils restent membre à part entière de l’Union européenne.
Au plan politique, le « non » va créer une véritable crise politique au Royaume-Uni car ce référendum marque un véritable divorce entre le peuple et la représentation nationale. Bien difficile de prévoir comment vont évoluer les choses.
Enfin, ce référendum va ranimer les tensions indépendantistes du côté des pro-européens que sont l’Ecosse et l’Irlande du Nord. L’Ecosse a déjà annoncé qu’en raison des changements opérés par ce vote contre l’UE, un nouveau référendum en faveur de sa scission avec le Royaume-Uni et son adhésion à l’UE serait organisé prochainement. De son côté, l’Irlande-du-Nord pourrait être également tentée de quitter de Royaume-Uni pour rejoindre l’Irlande et l’UE.
Du coup, le vote du « non » pourrait bien à terme provoquer l’implosion du Royaume-Uni. L’effet inverse de celui voulu par les nationalistes !
Quel avenir pour l’Union européenne ?
Ce n’est pas la première crise à laquelle doit faire face l’UE, mais cela reste probablement la plus importante. Outre le risque de voir certains autres pays organiser un référendum sur le sujet, il va falloir gérer la sortie d’un pays de 65 millions d’habitants, représentant 17% du PIB de l’Union. Ce qui n’est pas rien !
Face à la montée des nationalistes européens de tous poils qui capitalisent sur l’immigration et le sentiment anti-eurocrates, tout en profitant de l’affaiblissement de la gauche modérée favorable à l’UE et aux réformes, les gouvernements européens doivent prendre la mesure des enjeux et rassurer au plus vite les classes populaires en faisant montre d’un peu plus d’écoute à leur égard. C’est probablement là l’un des défis majeurs à relever pour les gouvernements européens : contenir l’exaspération de leurs concitoyens, les rassurer et engager rapidement l’Union européenne dans une réforme de fond des institutions qui doivent être davantage au service des populations.
L’ampleur de la crise qui vient de frapper l’Union européenne doit constituer un électrochoc qui permettra de relancer les réformes, quitte à construire une Union à deux vitesses. Pour cela, la France qui a toujours été l’un des moteurs de l’UE avec l’Allemagne, doit retrouver la place qui est la sienne et s’investir pleinement dans la construction européenne. Une mission essentielle qu’elle a lâchement abandonnée ces dernières années à l’Allemagne.
Une chose est sûre, dans le monde globalisé d’aujourd’hui, hors l’Union européenne, il n’y a aucun avenir pour les nouvelles générations d’Europe. Les vieilles nations européennes, plutôt que de tenter de se replier sur elles-mêmes et entretenir un passé révolu, doivent au contraire s’ouvrir entre-elles et coopérer activement au sein des institutions de l’Union européenne pour faire face à la concurrence, protéger leurs citoyens et tenir la place qui leur revient.
En attendant, nul doute que la France, comme d’autres pays, ne manquera pas d’accueillir à bras ouverts nos amis britanniques souhaitant rester dans l’Union européenne et même à leur accorder la nationalité si nécessaire !
L’avenir est à l’Europe …