France : Manuel Valls dégaine le 49-3 pour faire passer en force la loi Macron et contourner les frondeurs de son propre parti

19 février 2015

L’article 49.-3 de la Constitution française du 04 octobre 1958 prévoit : « Le Premier ministre peut, après délibération du Conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l’alinéa précédent. Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session. »

Le précédent gouvernement de François Fillon (2007-2012) avait été l’un des seuls de la Vème République à ne pas recourir à l’article 49-3 de la constitution en vue de faire adopter un texte par la force. Par le passé, François Hollande alors premier secrétaire du Parti socialiste, n’avait pas manqué à maintes reprises de dénoncer l’utilisation abusive de cet article pour faire adopter un texte par la force, au mépris d’un véritable débat parlementaire.

La loi Macron, une série de mesurettes destinées à moderniser l’économie française et à la rendre plus compétitive selon ses défendeurs, était portée par le Premier ministre Manuel Valls qui assurait qu’elle était plébiscitée par une majorité de français et qu’elle était facteur de croissance. Il faut bien l’avouer, il s’agit en fait d’une série de modestes modifications homéopathiques destinées à moderniser quelque peu l’économie française, sans réel effet sur la croissance et l’emploi, qui sont pourtant le fléau de la France. Pourquoi, dans ce contexte, accorder autant d’importance à l’adoption de cette loi pour le moins insignifiante ?

Tout simplement parce que sa non adoption aurait constitué un échec cinglant pour Manuel Valls qui aurait définitivement mis un terme à ses ambitions réformatrices. Pour Hollande, cela aurait été un nouveau signe de faiblesse et d’impuissance face aux difficultés du pays.

L’empressement avec lequel M. Valls a dégainé le 49-3 en dit long sur l’état de décomposition de sa propre majorité socialiste dont les députés « frondeurs » étaient en passe de s’opposer à l’adoption du texte. Il y avait manifestement le feu chez les députés socialistes et il fallait l’éteindre au plus vite, sous peine de voir la majorité se disloquer très rapidement.

Rappelons que la gauche a conquis l’Assemblée nationale en mai 2012 avec 331 députés (280 socialistes, 12 Radicaux de gauche, 17 EE-LV et 22 divers gauche) sur un total de 577 députés, soit une majorité absolue à 289 voix. Si les socialistes n’ont pas la majorité à eux seuls, avec les alliés PRG et EE-LV, ils sont assurés d’une majorité confortable de 309 députés, plus les éventuelles voix des 22 divers gauche.

Le problème c’est que M. Hollande a trahi ses électeurs au regard du programme, très marqué à gauche, sur lequel il a été élu en 2012. Aujourd’hui, face à la réalité des problèmes, M. Hollande et son Premier ministre tentent de mettre la barre au centre, voire à droite, et de se lancer dans quelques réformettes pour tenter de faire illusion et donner quelques signes positifs aux marchés. Face à ce changement de cap, non seulement la plupart des élus du Front de gauche s’opposent à cette politique, mais aussi nombre de députés EE-LV et même socialistes. Ceux que l’on appelle les « frondeurs » seraient près d’une trentaine, voire plus, et menaceraient aujourd’hui de faire éclater le PS et de priver le gouvernement de gauche d’une majorité pour gouverner.

Pas sûr que l’artillerie lourde du 49-3 sortie par Valls parviennent à les calmer durablement. Au contraire, cet excès d’autoritarisme du Premier ministre que nombreux frondeurs haïssent, risque au contraire d’envenimer un peu plus les choses.

Quelque part, le recours de dernière minute au vote bloqué, via l’article 49-3 de la Constitution, au sujet d’une loi mineure et sans grande envergure, est un aveu de faiblesse et d‘impuissance du Premier ministre qui croyait faire passer la loi Macron sans difficultés. Aujourd’hui, la tension est à son comble entre la majorité socialiste et les députés « frondeurs » qui ont ainsi été neutralisés, sans pouvoir s’opposer à un texte qu’ils jugent globalement mauvais.

Au final, sans réelle surprise compte-tenu du rapport de force droite-gauche à l’Assemblée nationale, la motion de censure déposée par l’UMP et l’UDI n’a recueilli que 234 voix. De fait, la loi Macron est adoptée et sera transmise au Sénat. Même si la loi passe, il y a fort à parier que les tensions au sein du PS vont s’amplifier. A quelques semaines des élections départementales, la mise en œuvre du 49-3 est un échec lourd de conséquence pour l’avenir du Parti socialiste.

Aucun des élus « frondeurs » du PS n’a finalement été jusqu’au bout de la logique et voté la motion avec la droite. Même si le désaccord avec la majorité socialiste est considérable, ils n’ont pas voulu prendre le risque de mettre le gouvernement en minorité et de devoir revenir devant les électeurs. Les élus de gauche le savent bien ; si des élections législatives avaient lieu aujourd’hui, la grande majorité des élus socialistes seraient largement battus.

En dépit d’un profond désaccord idéologique, autant fermer les yeux et attendre au chaud le terme du mandat législatif, quitte à voir la France sombrer dans l’abîme ! Un peu de courage Mesdames et Messieurs les élus socialistes !